Maître Choralyne Dumesnil, avocate aux barreaux de Paris et de Californie

Docteur, docteure, faites que je sois la plus belle


Il était une fois...
Une jeune femme qui demanda à son médecin de lui faire des injections dans les lèvres. 
Comme c’était la quatrième fois en peu de temps, le médecin hésita, mais la jeune femme insista.
Lorsqu’elle se regarda dans le miroir, c’était une catastrophe... à vie.
La jeune femme attaqua le médecin en justice et il fut condamné.


L’histoire n’appartient pas à l’imaginaire, des médecins m’ont interrogée.

La question qu'ils m’ont posée est : que faire pour éviter d’être condamné ?

Ma réponse : écouter.

 

I. Les trois cercles du contexte

Étudions les différents contextes dans lesquelles s'expriment la demande de la jeune femme : le contexte social (1), mais aussi son entourage (2) et enfin l'intimité (3).

1. La société : « Miroir, miroir, dis moi que je suis la plus belle »

Dans la petite enfance, la « beauté » des petites filles est soulignées par leurs parents et leur entourage. Cela a été suffisamment documenté depuis de nombreuses annéesi. Dans les contes de fées, les princesses – auxquelles les petites filles sont identifiées – sont presque toujours « très belles ».

Dans Blanche Neige, la reine demande à son miroir « Miroir, Miroir, dis moi que je suis la plus belle ». Et le miroir répond inlassablement qu’une autre est plus belle qu’elle. Ce n’est pas seulement dans les contes de fées que les femmes sont comparées, se comparent à l'aune d’un pseudo critère de « la beauté » (dont les caractéristiques changent dans le temps et l’espace).

L’ouvrage Le mythe de la beauté, de Naomi Wolfii, a bien documenté ce phénomène et dénoncé les industries (cosmétique, pharmaceutique, de chirurgie plastique...) et les publicitaires qui exploitent et renforcent ces croyances pour des profits colossaux encore aujourd’hui. Tout le corps des femmes est passé au peigne fin, à la tondeuse, au scalpel, etc.

Socialement l’injonction est que la femme doit être « la plus belle ».

Il ne serait pas étonnant que la diffusion massive de contenus pornographiques visionnés dès le plus jeune âge conduise de plus en plus de femmes – et probablement des hommes aussi – dans les cabinets de chirurgiens plastique. Des enquêtes existent probablement sur ce sujet (trouvez-les).

iElena Giani Belotti, Dalla parte delle bambine, Feltrinelli, 1973 ; trad. Du côté des petites filles, Éditions des Femmes, Paris, 1994

iiNaomi Wolff, The Beauty Myth: how images of beauty are used against women, Chatto & Windus, 1990

2. L’entourage : « Fais comme moi »

Le cercle proche baigne dans cette société, si certains sont critiques beaucoup ne le sont pas du tout. Certain·e·s encouragent à la quête vers le Graal de la « perfection » dont les critères varient dans le temps et l'espace.

Des milieux professionnels exercent une pression majeure sur les personnes afin qu'elles correspondent à une certaine image comme condition d'exercice d'une profession. Dans un documentaire intitulé Sois belle et tais-toi, de Delphine Seyrigi, Jane Fonda a dénoncé les injonctions qu'elle a reçues lorsqu'elle est entrée à Hollywood où il lui a été demandé de se teindre les cheveux et de faire l'objet d'une opération qui prévoyait de lui briser la mâchoire afin de lui creuser les joues. L'analyse des images des stars du cinéma révélerait ou non une évolution de ces critères aujourd'hui (à faire...).

C'est en particulier chez les adolescentes que l'influence du groupe vers la banalisation de certains comportements pourtant aberrants et dangereux pour la santé se manifeste particulièrement. Pensons par exemple aux compétitions à celle qui sera la plus mince et dont la taille ne dépassera pas la largeur d'une feuille A4 (tenue verticalement - bien sûr).

iDelphine Seyrig (réalisatrice), Sois belle et tais-toi, 1976, 111 min, noir et blanc

3. L’intimité : « Prouve-moi que tu m’aimes »

Dans le cadre du couple, les comportements de contrôle de certains partenaires prennent de nombreuses formes et affectent le corps des femmes.

Les injonctions rapportées par les femmes victimes de ces violences se manifestent par du chantage émotionnel et la banalisation des actes.

À titre d'exemple, des femmes s'entendent dire par leur compagnon « si tu m'aimes tu "te fais refaire" les seins, le visage, les fesses etc. », « si tu ne te fais pas refaire, je te quitte », le tout couronné par des propos tels que « ce n'est pas grand chose, tu t'es bien fait opérer des dents de sagesse ».

C'est dans cet océan d'influences et d'injonction que patientes et médecin naviguent. La déontologie professionnelle, primum non nocere, lui impose d'en prendre conscience et de ne pas oublier de vérifier où se trouve sa patiente : sur un paquebot ou sur une île comme lui ? ou à la dérive sur un frêle esquif ? ou même plongée dans l'océan sans parvenir pas à attraper une bouée de secours ?

II. La demande de la patiente

Le médecin qui reçoit une patiente écoute dans un premier temps ses propos.

Praticien, le médecin peut voir immédiatement la dimension technique de la demande de la personne. En particulier si la demande est évidemment "aberrante ou impossible", il pourrait en rester-là. Dans ce cas, il sera important d'orienter la patiente vers des ressources afin de ne pas l'abandonner dans la solitude et l'incompréhension face à une réaction brusque et incompréhensible pour elle. Le risque - ici commercial pour le médecin - est qu'elle lui fasse mauvaise presse.

Dans l'hypothèse d'une demande qui n'est pas d'emblée aberrante d'un point de vue technique et au regard de la santé de la patiente, l'écoute permettra de comprendre l'origine et le fondement du besoin de la patiente.

Dans ce cadre il est important de comprendre :

  • Comment la personne formule sa demande, son besoin, quel sens lui donne-t-elle ?

  • Si la personne est en couple, comment le partenaire influence la demande de la patiente ? Est-ce une difficulté ? Il sera important de vérifier qu'il n'y a ni chantage, banalisation, ou contrainte, conditions qui pourront ultérieurement créer souffrance, frustration pour la patiente et qui présente aussi un risque contre le médecin (a minima en terme de réputation).

  • Comment le milieu de la patiente a informé, orienté voire contraint sa demande ?

  • Comment les injonctions sociales ont-elles affecté la demande de la personne ? En est-elle consciente ? Est-il possible d’en discuter avec elle ou est-elle fermée à tout échange ?

Le médecin praticien sera en mesure d'évaluer les différentes techniques à sa disposition et de proposer différentes méthodes en informant la patiente des bénéfices/risques de chacune.

Si l'on revient au récit qui a commencé cet article, quelle a été la difficulté rencontrée ?

Le médecin a procédé à des injections à la demande de la patiente.
C'est sous son insistance qu'il a procédé à des injections qu'il n'a pas voulu faire dans un certain temps.
Cependant, l'insistance de la patiente ne lui transmet pas la responsabilité des conséquences des actes médicaux. La responsabilité porte toujours sur le médecin. C'est à lui, professionnel, le cas échéant de refuser de procéder à des actes médicaux.


 

La difficulté du médecin est d'expliquer son refus à la patiente qui, elle, "veut tout et tout de suite". Il craint pour sa réputation et sa patientèle.

Pour formuler son refus, une conscience des trois cercles : sociétal, entourage et intimité et une compréhension de l'influence de ces trois cercles dans la demande de la patiente sont des atouts pour lui permettre de trouver les mots.

Dans l'hypothèse où cette explication ne suffirait pas, pour accompagner la personne vers la compréhension de cette décision prise dans le meilleur intérêt de la personne, il sera envisageable de proposer un suivi psychothérapeutique avec un.e professionnel.le éventuellement spécialisée sur la question de l'image de soi.

En tout état de cause, le médecin doit accepter de s'exposer à la colère de sa patiente. Il lui appartient de peser le "bénéfice/risque" de risquer la mauvaise presse que celle-ci lui fera versus les conséquences d'un acte médical inadapté, des lésions physiques, psychologiques et judiciaires (qui se refléteront éventuellement sur les polices d'assurance).

L'évolution du contentieux de la responsabilité professionnelle contre les médecins les a inquiétés. Leur demande est : comment éviter des condamnations suite à des plaintes de patientes ?

Je pourrai évidemment vous parler de formulaires de consentement mais au fond, la réponse de est : écoutez-vos patientes et sachez dire non lorsque la demande présente un danger pour elle ou... pour vous.

 

Tous droits d'auteurs réservés à Me Choralyne Dumesnil 2023

 

Ce texte est issu d'une communication donnée au 32e Salon de gynécologie obstétrique pratique organisé du 15 au 17 mars 2023 au Palais des congrès de Paris. Remerciement à Mme Rosa Carballeda, de l'AIUS


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