Maître Choralyne Dumesnil, avocate aux barreaux de Paris et de Californie

Qu'est-ce-que le viol par surprise ?


L'actualité

Le procès de Monsieur Pélicot poursuivi pour avoir drogué, violé et livré son épouse, à des hommes qui ont commis des actes de pénétration sexuelle à son encontre, dit « procès de Mazan » dans la presse, a mis à la une de la rentrée le crime de viol et plus précisément le viol par surprise.

Dans un contexte national et international où les prises de position en faveur d’une redéfinition du viol visant à inclure le concept/terme de « consentement », il me semble important de revenir sur ce sujet au regard de ma pratique.

Le code pénal

Le code pénal français définit le crime de viol ainsi (article 222-23 dernière modification 2021) :

« Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, ou tout acte bucco-génital commis sur la personne d'autrui ou sur la personne de l'auteur par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol. »

Exemples de jurisprudences anciennes

La jurisprudence, autrement dit, les décisions des tribunaux et des cours ont donné une interprétation à ces termes.

 

Sur la surprise

Exemples de jurisprudence ancienne figurant dans le code bleu

  • Un homme s’introduit dans le lit d’une femme endormie qui a cru avoir des relations sexuelles avec son mari (Cass, Crim 25 juin 1987),
  • Un homme pénètre vaginalement une femme qui se trouve en état d'hypnose (Cass, Crim 6 novembre 1960).

Exemple de ma pratique contentieuse

Dans le cadre de ma pratique devant les juridictions françaises, j’ai pu entendre un homme de 39 ans prononcer les explications suivantes, décrivant son comportement à l’encontre de sa compagne âgée à l’époque de 25 ans :

- A combien de reprises vous-a-t-elle dit qu’elle ne voulait pas être pénétrée le matin voire en dormant ?

- A plusieurs reprises mais je tentais toujours ma chance.

Nous étions en 2020.

ll a été jugé par le tribunal correctionnel pour avoir commis des agressions sexuelles à l'encontre de sa compagne (il s'agissait de viols qui auraient pu être jugé par la cour d'assises mais qui ont été disqualifiés en agression sexuelles. La femme victime a accepté cela).

 

Comme les commentaires des statistiques nous le rabâchent maintenant régulièrement, la plupart des personnes victimes de viol n’iront jamais porter plainte, nombre de celles qui le font recevront la lettre de « classement sans suite pour infraction insuffisamment caractérisée », classement 21 dans le jargon.

Exemple de ma pratique d'écoute et de conseil

Un autre exemple rencontré dans le cadre de ma pratique de conseil me semble pertinent.

La situation est plus ancienne pour avoir eu lieu en 2003.

Cette situation n’a pas été portée devant les juridictions.

« J’étais jeune majeure, je n’avais pas 20 ans. C’était mon parrain, un élève de 2ème année désigné par le bureau des élèves. Cela faisait partie du processus d’intégration, c’était ma coloc qui m’en avait parlé. Je m’étais inscrite et j’avais été contactée par P qui m’avait invitée à boire un verre après les cours. Ce rendez-vous était totalement banal et normal. On avait parlé de l’école, de nos familles, nous habitions des studios à proximité du campus, tout était normal.

Une semaine plus tard, il m’a proposée de nous retrouver chez lui, comme je n’avais pas beaucoup d’argent j’ai cru que lui non plus et je ne me suis pas posée plus de question que ça. J’avais déjà des amis d’enfance plus âgés et j’étais régulièrement invitée chez les uns et les autres, je n’ai pas du tout pensé au caractère « intime » et donc dangereux de son appartement.

Le studio était petit, comme toujours en région parisienne et il m’a proposé de m’asseoir sur son lit, en même temps, il n’y avait pas de chaise… il a mis de la musique, a servi un verre de je ne sais plus quoi, je ne me souviens pas avoir eu le temps de le boire.

Il m’a sauté dessus, embrassée vigoureusement, déshabillée – j’étais en jupe très courte que je portais avec des baskets pour pouvoir courir vite, ça ne m’a pas aidée – et pénétrée vaginalement avec son sexe.

J’ai eu mal, je n’ai pas réussi à le repousser, j’étais comme bloquée dans mon corps et dans ma tête. Je me souviens m’être jetée dans la douche, avoir mis de l’eau froide entre mes jambes et être rentrée chez moi.

A aucun moment je ne me suis dit qu’il me violait, parce qu’en fait je n’étais pas capable de « me dire » quoi que ce soit. Quand j’y repense, je me vois là, complètement bloquée.

Une semaine plus tard, il me réinvite.

Et j’y suis retournée.

Il a fait la même chose et je suis rentrée chez moi et j’ai pris la douche la plus longue de ma vie.

Et je n’ai pas pensé du tout, c’est comme si je ne pouvais pas traiter l’information.

Pourtant, j’avais toutes mes capacités cognitives. Et non, là, j’étais bloquée.

Sans consciemment identifier la raison, j’ai fui P.

Mais à l’époque, ce n’était pas du tout conscient, je trouvais même un peu dommage de ne pas faire comme les autres camarades qui vivaient des aventures très sympa avec leur parrain de 2ème année. J’ai fui et je n’ai pas voulu y penser.

Quelques semaines plus tard, je me suis effondrée en amphi, j’ai réussi à rentrer chez moi et arrivée là, j’ai fait une crise de spasmophilie.

Heureusement, je ne vivais pas seule, ma colocataire a appelé SOS médecin.

Le médecin est arrivé, il m’a à peine touché le bras que je me suis mise à pleurer et à convulser.

Il m’a dit : il vous est arrivé quelque chose de grave.

J’étais incapable de faire le lien avec ce que j’avais subi quelques jours plus tôt.

Il n’avait pas le temps, il est parti et il m’a donné un somnifère.

Je me suis pissée dessus cette nuit-là.

Cela fait bien plus de 10 ans que tout ça est arrivé.

Ça a mis beaucoup beaucoup beaucoup de temps pour que je puisse faire face à ça, avoir été violée.

Pour moi, c’est un viol par surprise et par contrainte morale, la menace ou la violence physique, il n’en a pas eu besoin, j’étais tétanisée.

J’ai été totalement incapable de réagir. »

Le résumé de ce témoignage est écrit avec l’autorisation de la personne victime.
Mme X n'a pas voulu porter plainte.

Pourquoi une personne victime de viol ne réagit-elle pas ? Cela fera l'objet d'un autre article ultérieurement.

Prévenir c'est agir

Depuis 2014, Me Choralyne Dumesnil réalise des actions de prévention des violences sexuelles et sexistes dans l’Enseignement et notamment l’Enseignement supérieur et la recherche.

L’intervention consiste en des mises en situations concrètes qui permettent de comprendre différents cas et d’identifier les droits, les devoirs de chacun.es. Vous souhaitez organiser une Action de prévention ? N’hésitez pas à contacter le Cabinet.

 


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