Merci Christine Angot

Merci Christine Angot

Merci Christine Angot, pour votre courage époustouflant dans votre documentaire « Une famille », merci de mettre le pied dans la porte du déni de l’inceste des pères à l’encontre de leur fille.

Le déni, c’est cette chape de plomb, de béton, d’acier que les agresseurs et l’entourage imposent. Cela verrouille le silence.
Beaucoup de travaux existent sur le rôle du déni dans les mécanismes psychologiques de survie – mémoire traumatique – des personnes victimes de violences sexuelles.

Votre documentaire révèle comment le déni est à l’œuvre dans « l’entourage » : chez la mère, la femme du père, le mari.

La spectatrice empathique ne peut que frémir pour vous, que nous savons là, assise dans ce salon, dans cette cuisine, face à cette personne qui ne semble pas même se rendre compte de ce qu’elle dit et encore moins des conséquences que cela peut produire sur vous. Pour ramener l’autre dans le présent et le réel de la douleur, vous allez jusqu’à placer votre main sur votre cœur pour rappeler ce que c’est que d’être humaine : avoir un cœur qui bat.
 

Les figures du déni, ce sont :

– les femmes des pères qui « ne peuvent pas imaginer » que l’homme qu’elles ont aimé – et ont admiré –, ait pu faire « ça », ce n’est pas celui qu’elles ont connu ;
– les mères qui ne « comprennent pas » comment, en dépit de leur « relation mère fille », « ça » a pu arriver et continuer, pourquoi leur fille ne leur a rien dit au moment où « ça » arrivait ;
– les maris, les compagnons qui déclarent : « Mais tu étais si forte ! pour moi, tu savais ce que tu faisais… »
Face à elles, face à eux, les victimes répètent, vous répétez : « J’étais un·e enfant » « J’ai été violée par mon père. »
Vous l’avez déjà écrit, vous avez œuvré, parlé de « ça », depuis longtemps.
Sur les ruines laissées par une bombe, une bombe à retardement qui a explosé à de multiples reprises, les réactions in fine sont :
– c’est de l’histoire ancienne ;
– la vie, c’est devant ;
– c’est fini, n’en parlons plus ;
– tu es forte.
Etc.

En réponse à ces attitudes de déni, vous interrogez : « C’est tout ce que « ça » – l’inceste, qui m’est arrivé, et dont à vous tous j’ai parlé depuis avec confiance – vous fait ? »

C’est insupportable.

Courageusement, vous continuez à parler, à dire et à montrer. Ce que vous montrez dans ce documentaire, c’est le déni des violences sexuelles commises contre les enfants et encore plus tenace en cas d’inceste d’un père contre sa fille.

Il y a des mères qui ne voient pas. Il y a des enfants qui ne parlent pas, nous dit-on si souvent ; mais si on leur avait parlé lorsque la flamme de l’insouciance s’était éteinte dans leur regard, ne se seraient-ils pas confiés ?

Des enfants parlent, des mères croient

Il y a des enfants qui parlent et qui montrent à leur mère – statistiquement c’est à leur mère qu’ils se confient en premier – ce que papa a fait.


Et il y a des mères qui cherchent à protéger leur enfant, fille ou garçon, de l’inceste.


Elles s’adressent à l’institution judiciaire, certaines d’être reçues avec compétence et bienveillance.

Elles n’imaginent pas le parcours du combattant qui s’ouvre devant elles.


À chaque étape elles reçoivent une nouvelle déflagration.


Elles ne sont pourtant pas dans le déni. Elles expliquent dans quel contexte, dans quelles circonstances, dans quelles conditions l’enfant a dit quoi, comment, quels gestes ont été commis. Trop souvent, l’enfant n’est pas protégé du père qui commet l’inceste.


J’espère que votre documentaire va changer la vie de ces enfants-là.

L’ouvrage de Neige Sinno a fait la une, mais, c’est différent, c’était son beau-père, pas son père et il a été condamné par le système judiciaire, il est donc « vraiment coupable, lui ».


Le travail à accomplir est colossal, partout dans le monde. C’est toute la chaîne judiciaire qui doit se remettre en question.
 

Le déni que nous observons dans votre documentaire, nous le voyons aussi dans le système judiciaire :

« Bon, madame, arrêtez de nous raconter les violences de monsieur contre vous, ça fait deux/x ans que vous êtes séparés, c’est terminé. On est là pour se préoccuper de la résidence de votre enfant. Elle (ou il) dit avoir été victime d’inceste, dites-vous mais, à nous, elle (ou il) ne dit pas ça ! »
Surprise…
« Elle (ou il) nous dit que c’est vous qui lui avez dit de raconter cela ! »
Là, la mère tombe de sa chaise.
« C’est moi qui lui ai dit de vous raconter ce qui s’est passé ! »
La suite ?
Mais non, mais non, il ne s’est rien passé, le père n’a rien fait, c’est encore une mère qui a dit à son enfant de raconter « ça ». Allez, on confie l’enfant au père…
Une étude d’impact ? Réalisée aux États-Unis, elle donne des résultats effrayants. En France, une telle étude n’a encore jamais été lancée et, vu les difficultés d’accès aux dossiers par les chercheurs, je doute qu’aucune le soit avant très longtemps.
Précision : j’indique « il ou elle », car j’ai pu constater le même dispositif, que l’enfant soit une fille ou un garçon, qu’il ou elle ait 4 ans ou 9 ans.
Pour résumer, avec les mots d’un enfant de 4 ans agressé sexuellement par son grand-père – je sais, ce n’est pas son père –, en réponse à la question – hallucinante – d’un policier :
« Pourquoi il fait ça, papi ?
– Parce qu’il peut. »
In fine, « ça » peut cesser. Ouvrons les yeux et aidons-les !
L’inceste cessera lorsque nous accepterons de le regarder en face.
Lorsque nous protégerons les enfants.
Lorsque les agresseurs seront démasqués et mis hors d’état de nuire aux enfants.
Car la violence est cyclique, si elle n’est pas arrêtée, elle continue.
Et c’est au système judiciaire de faire cela.

Le viol est un crime. L’inceste est un crime.

Cet article a été publié sur le Club de Médiapart : https://blogs.mediapart.fr/me-choralyne-dumesnil/blog/210324/une-famille-merci-christine-angot
 

Commentaire d’un.e professionnel.le

Commentaire reçu le 23 mars 2024 à 14h02 – Toussaint 973 sur le Club de Médiapart

« Les agressions sexuelles sur des enfants ou des ados, j’y ai été confronté pendant toute ma carrière, en en ayant subi moi-même, quoique très en deçà de ce que j’ai entendu, de ce que j’ai écouté, pendant plus de 40 ans. 

L’immense majorité de ces agressions, sans aucun doute possible, se passe dans le cercle familial.

Dans toute ma carrière, sur les dizaines de cas auxquels j’ai été confronté, les agressions pédophiles, par des enseignants, des membres du clergé, des médecins, viennent très loin derrière les incestes. Très, très loin. Et la presque totalité était le fait d’hommes, pères, oncles, grand-père, frère, beau-père… Dans un cas, une orpheline ayant perdu ses deux parents dans un accident, ce sont les deux grand-pères… Les dégâts sont effroyables, littéralement effroyables.

Et l’incidence de ces violences pédophiles et incestueuses n’a rien de marginal, c’est une minorité d’enfants, mais ce n’est pas une toute petite minorité, très loin s’en faut. Il est temps de reconnaître que l’inceste pédophile est une norme sociale, pas une déviation ou une transgression marginales. Il est temps aussi, grand temps, de cesser de considérer que la pédophilie est l’apanage de la seule Eglise catholique, c’est une manoeuvre de pure diversion pour ne pas affronter la réalité.

La vérité est que la société, dans son immense majorité, refuse de reconnaître cette violence et de prendre le problème à bras-le-corps. C’est une violence faite aux enfants dont nous sommes, presque tous, les complices, par action ou par omission.

Merci à Mme Angot, merci aux enfants qui parlent, et souvent ils le payent fort cher. Terriblement cher. Merci à celles et ceux qui luttent avec les enfants et pour les enfants. A présent, je suis à la retraite, et c’est ce que j’apprécie sans doute le plus, je ne les entends plus, je ne les vois plus me confronter à mon impuissance et ma lâcheté. »

Je remercie ce.tte professionnel.le pour son partage d’expérience. Je comprends bien ce qu’il/elle ressent et exprime dans sa dernière phrase. Je pense qu’il est important pour tout.es les professionnel.les qui se trouvent confronté.es non seulement aux violences sexuelles commises contre les enfants mais aussi en plus au déni de l’institution judiciaire et à ses conséquences dramatiques et inhumaines (alors que l’on nous noie de campagnes de protection de l’enfance et de droits humains et blabla on va agir sans en réalité ne rien faire), de nourrir toujours l’espoir en elles/eux.

Nous faisons tout ce que nous pouvons et décrire comme vous le faites est extrêmement précieux. Continuons avec persistance à :

1. Documenter les réponses judiciaires inappropriées/injustes/violentes (il y aurait tant à analyser pour les qualifier)

2. Les dénoncer.

Professionnel.s témoins, Renseignez-vous sur vos leviers d’action auprès des associations de victimes et auprès d’avocat.es spécialisées.

Merci « Toussaint 973 ».

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